mercredi 5 février 2020


Pour ceux qui ont aimé le texte de
Philippe DELERM (extrait de la première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules)

La bicyclette et le vélo

C'est le contraire du vélo, la bicyclette. 
Une silhouette profilée mauve dévale à soixante-dix à heure : c'est du vélo. Deux lycéennes côte à côté traversent un pont à Bruges : c'est de la bicyclette. L'écart peut se réduire. Michel Audiard en knickers et chaussettes hautes s'arrête pour boire un blanc sec au comptoir d'un bistro : c'est du vélo. Un adolescent en jeans descend de sa monture, un bouquin à la main, et prend une menthe à l'eau à la terrasse : c'est de la bicyclette. On est d'un camp ou bien de l'autre. Il y a une frontière. Les lourds routiers ont beau jouer du guidon recourbé : c'est de la bicyclette. Les demi-course ont beau fourbir leurs garde-boue : c'est du vélo. Il vaut mieux ne pas feindre, et assumer sa race. On porte au fond de soi la perfection noire d'une bicyclette hollandaise, une écharpe flottant sur l'épaule. Ou bien on rêve d'un vélo de course si léger : le bruissement de la chaîne glisserait comme un vol d'abeille. A bicyclette, on est piéton en puissance, flâneur de venelles, dégustateur du journal sur un banc. A vélo, on ne s'arrête pas : moulé jusqu'aux genoux dans une combinaison néospatiale, on ne pourrait marcher qu'en canard, et on ne marche pas. 
C'est la lenteur et la vitesse ? Peut-être. Il a pourtant des moulineurs à bicyclette très efficaces, et des petits pépés à vélo bien tranquilles. Alors, lourdeur contre légèreté ? Davantage. Rêve d'envol d'un côté, de l'autre familiarité appuyée avec le sol. Et puis ... Opposition de tout. Les couleurs. Au vélo l'orange métallisé, le vert pomme granny, et pour la bicyclette le marron terne, le blanc cassé, le rouge mat. Matières et formes aussi. A qui l'ampleur, la laine, le velours, les jupes écossaises ? A l'autre l'ajusté dans tous les synthétiques.
On naît bicyclette ou vélo, c'est presque politique. Mais les vélos doivent renoncer à cette part d'eux mêmes pour aimer - car on n'est amoureux qu'à bicyclette.

ETES-VOUS VELO ou BICYCLETTE ?   

4 commentaires:

  1. Merci pour les infos, et pour le rectificatif...Oupsss, je n'y avais pas fait attention !! ET pour l'extrait aussi. Merci de ces attentions : elles sont comme la laine : un lien, doucement, se tricottant. Sourire. Anne

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  3. Sans aucun doute, vélo. Il faut que ça aille vite, tout le temps. Ne plus perdre une seconde pour avoir l'impression d'avoir fait le maximum. Planning bien rempli, gestion très rationnelle, toujours optimiser le temps qui m'est donné.
    Mais, il y a aussi des moments de calme. Je m'autorise alors à avoir de la tendresse pour mes souvenirs et à laisser mon esprit se remplir de tout un tas de rêves.
    Vélo & bicyclette. Bicyclette et vélo.
    "Rêve d'envol d'un côté, de l'autre familiarité appuyée avec le sol."

    RépondreSupprimer
  4. Voici des mots qui expriment ce besoin, si humain, de faire de son mieux, en un temps qui semble pourtant être accéléré, de part l'environnement qui sollicite de plus en plus à tout niveau, les corps et les cerveaux ! Cela tout en respectant la tendresse, qui nécessite d'être arrosée, à chaque instant présent. J'aime ce qu'a écrit Coluche :
    "La différence qu'il y a entre les oiseaux et les hommes politiques, c'est que de temps en temps les oiseaux s'arrêtent de voler !" Belle semaine à toi, Floriane. sourire

    RépondreSupprimer